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Nanette. — …appariteur du premier barreau du monde…

Bernard. — …Ah ! oui, j’en ai vu passer des bâtonniers…

Nanette. — …on doit savoir…

Bernard. — Je crois même que j’en ai vu naître…

Nanette. — …on doit savoir tenir sa langue…

Elle fait mine de la lui prendre avec des pincettes.

Bernard, se défendant. — Dame Nanette, je ne recommencerai plus.

Nanette. — Vous baissez, mon ami… Quand vous ne serez plus appariteur du barreau, vous pourrez toujours demander la place de concierge du palais, vieux cancanier.

Bernard. — C’est vrai que je baisse… Il va falloir songer bientôt à la retraite, et ça me fait de la peine… Quitter ces chers enfants que j’ai vu grandir, dont j’ai entendu les premiers bégaiements. Si vous saviez comme ils sont mignons, dans leur première robe, avec leur petit bonnet. C’est moi qui leur dis le premier : «  Mon cher maître » et ils rougissent comme des petits anges… je les habille, je leur apprends à porter correctement l’épitoge, à se bien tenir devant M. le bâtonnier… Je les conduis à la prestation du serment… Ils s’approchent pour la première fois de la barre avec la même dévotion que s’ils allaient peur la première fois à la sainte table… On dirait qu’ils vont encore renoncer au démon, à ses pompes et à ses œuvres…

Nanette, s’asseyant auprès du feu et tricotant. — …Comme vous voilà ému, mon pauvre Bernard.

Bernard. — C’est qu’ils m’aiment bien aussi. N’est-ce pas moi qui les rassure, les pauvres petits, quand ils sont appelés devant le conseil de l’ordre pour des bêtises, pour avoir raté leurs conférences Colonne ? Je leur offre un verre de coco. «  Un verre de coco, cher maître » ! et nous trinquons ensemble pour nous consoler… (Un soupir.) Mais parlons d’autre chose de moins triste, dame Nanette. J’ai des nouvelles de l’exécution de Jacquart… Oui, j’ai rencontré cet après-midi, au palais, un journaliste qui était allé à Melun… Il a vu votre jeune procureur.

Nanette. — M. Marie-Louis ?

Bernard. — Oh ! il s’agit bien de lui… Le jour-