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LA POUPÉE SANGLANTE

Où donc ai-je déjà vu ce dangereux sourire, aux dents de tigre ?… Eh ! mais dans les portraits !… surtout, surtout dans celui de Louis-Jean-Marie-Chrysostome, le premier des quatre… et ce sourire, toujours un peu féroce, mais à une moindre puissance, il erre encore de temps à autre sur les lèvres de ce bon vivant de Georges-Marie-Vincent !…

Tous deux se sont intéressés à mes travaux qui consistent pour le moment à faire un relevé des documents les plus rares, les plus précieux qui se trouvent accumulés, en pagaïe, dans un coin de la bibliothèque, et qu’il faudra classer, réunir, suivant un plan que je suis libre d’établir à mon gré et suivant mes goûts…

Le marquis est loin d’être une brute. J’ai trouvé en lui non un collectionneur « averti », car cette collection ne lui doit rien, ou à peu près, mais un véritable érudit, très au courant du mouvement littéraire depuis deux siècles : ceci, je ne puis le nier, je ne puis le nier… un homme qui, dans ses voyages, s’est toujours intéressé aux bibliothèques… Nous avons eu une longue discussion sur celle de Florence et sur le manuscrit de Longus et sur la fameuse tache d’encre de Paul-Louis Courier… Il ne donne pas raison à Paul-Louis, qui traite bien à la légère un pareil crime !… Je ne savais pas le marquis si amoureux de Daphnis et de Chloé. Mais tout cela, c’est de la littérature… la réalité, c’est Dorga !…

Ainsi pensai-je et telle était aussi sans doute la pensée de Saïb Khan, dont le sourire s’élargit sur l’éclatante menace de sa mâchoire de bête fauve…

Ils s’en allèrent et ils durent quitter aussitôt l’hôtel, car j’entendis le bruit d’une auto qui s’éloignait dans la cour d’honneur…