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LA POUPÉE SANGLANTE

souvenirs qu’est sortie l’une des plus prodigieuses aventures de cette époque et, à tout prendre, la plus sublime ! Sublime, l’aventure de Bénédict Masson l’a été assurément, car elle fut une Date (avec un grand D) dans l’histoire de l’Humanité, mais en même temps que sublime, elle fut aussi épouvantable… et Paris, qui n’en a surtout connu que l’épouvante, en tressaille encore.

Pour la juger à bon escient, il faut la prendre à son origine. Traversons le pont Marie et regardons autour de nous. Si nous admettons que la vie ne se traduit exclusivement point par le mouvement, nous pouvons envisager cette vérité que dans l’Île-Saint-Louis, plus que partout ailleurs, il y a toujours eu une vie intense, mais dans le domaine intellectuel. Sans évoquer les ombres lointaines de Voltaire et de Mme Du Châtelet, les peintres, les poètes, les écrivains y ont, de tout temps, élu domicile : George Sand, Baudelaire, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Daubigny, Corot, Barye, Daumier y installèrent leurs pénates. À l’angle de la rue Le Regrattier, qui, autrefois, était la rue de la Femme-sans-Tête, se dresse, au fond d’une niche, une Vierge mutilée, qui a vu défiler toute la pléiade romantique. Notre Bénédict Masson, qui n’était pas seulement relieur d’art, mais poète, — un étrange poète, comme on en a vu quelques-uns en ces temps-ci qui sont troubles, — prétendait habiter la chambre même où avait vécu quelque temps — et souffert — l’auteur des Fleurs du mal !

Naturellement il en concevait, dans son humilité, un singulier orgueil.

Mais nous ne saurions mieux connaître Bénédict Masson que par lui-même. Comme tous ceux qui croient être agités par quelque démon supé-