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LA POUPÉE SANGLANTE

Ah ! que mes lèvres brûlaient quand je l’ai revue cet après-midi… comme j’étais près de lui dire : « Eh bien, Gabriel va-t-il mieux ? » Mais je me suis tu au bord de l’abîme… Oui, j’ai senti nettement que ce mot-là, « Gabriel », je n’avais pas le droit de le prononcer !… C’est son secret !… le secret de son cœur ! comme on dit dans les romans… c’est son roman… Et moi, je suis hors de son roman… je suis hors de son cœur… Je suis seulement près d’elle… Si je veux rester près d’elle, tâchons d’oublier Gabriel !…

Elle est toute joie… Ainsi s’explique le rayonnement de ces derniers jours… Gabriel va mieux, Gabriel sort à son bras dans le jardin… Tâchons d’oublier Gabriel !… Hélas ! je ne pense qu’à lui ! Heureusement que le drame d’ici me reprend avec une certaine brutalité…

Nous nous trouvions, Christine et moi, dans la petite pièce que l’on a mise à notre disposition au fond de la bibliothèque, quand nous vîmes arriver la marquise dans une agitation qui faisait pitié… Sing-Sing accourait derrière elle… Elle murmura, comme si le souffle allait lui manquer :

— Chassez cette petite bête immonde !…

Je chassai Sing-Sing, qui ne protesta pas…

— Que vous a-t-il fait, madame ? demandai-je… Vous devriez vous plaindre au marquis.

Elle eut un pâle sourire.

— Sing-Sing ne me fait rien que de me suivre partout, et il n’y a rien là que je puisse apprendre au marquis…

Elle était en proie à un tremblement singulier, des plus pénibles à voir. Elle se tourna du côté de Christine :

— Je vous en supplie, fit-elle, protégez-moi !… Vous qui avez de l’influence sur le marquis, dites-