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LA POUPÉE SANGLANTE

Elle reprit, en remontant d’un geste frileux sa fourrure sur son épaule nue :

— Avez-vous remarqué que le marquis, quand il parle des Coulteray, de celui-ci, de celui-là ou d’un autre, dit souvent : je ?…

— Mon Dieu, madame, sans doute, dit-il je comme il dirait nous… nous, les Coulteray…

— Non ! non !… ce n’est pas cela !… ce n’est pas cela !… il dit : je… je me rappelle… et ainsi il raconte l’anecdote comme si là chose lui était arrivée à lui-même…

Où voulait-elle en venir ?… Elle avait toujours ses yeux immenses, reflétant une pensée qu’elle était seule à voir…

— Madame, quand M. le marquis m’a dit : « Je me rappelle », il faut évidemment comprendre : « Je me rappelle que l’on m’a raconté »… Il ne saurait en être autrement… M. le marquis ne saurait se rappeler une chose qui s’est passée lorsqu’il n’était même pas né…

— C’est la raison même !… prononça-t-elle avec un soupir… c’est la raison même…

Elle se leva…

— Il est parti tout de suite, expliqua-t-elle, parce que Christine n’était pas là !… Je vous en prie, monsieur Masson, quand Christine est là, ne la quittez sous aucun prétexte… Au revoir, monsieur Masson !… Ah ! Sing-Sing était derrière nous, qui nous écoutait !…

Je me retournai… En effet, le petit singe indien montrait ses yeux de jade derrière la porte entr’ouverte… Et je le chassai en claquant des mains, comme Christine me l’avait recommandé.

Avant de me quitter, là marquise me tendit la main d’un geste extrêmement las…

— J’ai la plus grande confiance en vous, monsieur Masson… Je vous dis des choses… des