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LA POUPÉE SANGLANTE

pénétrait avec cette figure de rêve, emmitouflée de fourrures blanches, qui s’acheminait vers nous… quel drame ?… celui d’à côté que j’avais vu, en partie, se dérouler sous mes yeux ?… celui d’ici que je ne connaissais pas encore ?… Peut-être bien les deux à la fois.

Oui, quand je me rappelle cette première heure singulière, passée dans le vieil hôtel de Coulteray, ce qui domine en moi, c’est l’impression que l’un de ces drames pourrait peut-être un jour s’expliquer par l’autre, en tout cas qu’ils n’étaient pas étrangers l’un à l’autre… et que ce mur, bâti jadis pour séparer l’antique demeure, ne séparait plus rien du tout depuis que Christine en faisait si facilement le tour.

Qu’y avait-il de vrai dans tout ce qu’elle m’avait raconté le matin même ? J’allais peut-être le savoir de la bouche de ce fantôme pâle qui s’avançait vers nous… c’était la marquise ; je l’avais reconnue, bien qu’elle m’apparût encore plus exsangue que lorsque je l’avais vue pour la première fois. Son apparition me plongea immédiatement dans cette indéfinissable rêverie que nous cause une musique douce et triste, apportée à nos oreilles par une brise lointaine à travers un grand silence… quel souffle de l’au-delà soulevait cette fragile image ? Autant Christine semblait la réalisation idéale de la vie, par sa ressemblance avec les plus suaves figures de la Renaissance italienne, autant le visage de la marquise avait un air de songe aux transparences si délicates qu’on eût craint de les profaner par l’examen. Je ne me lassais pas de regarder Christine, mais devant cette langoureuse lady, on ne pouvait que baisser les yeux par crainte de l’effleurer ou peut-être même par pitié… d’autant que cette forme fugitive était éclairée douce-