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LA POUPÉE SANGLANTE

petits talons Louis XV sur le vieux pavé du roi — « sous tes souliers de satin — sous tes charmants pieds de soie — moi je mets ma grande joie — mon génie et mon destin ! »

Elle a encore bien grande allure, cette demeure décrépite qui se dresse devant nous comme une ombre fastueuse du passé… L’hôtel Coulteray est assurément, avec l’hôtel Lauzun, l’un des plus beaux de l’île, sinon le plus beau, en tout cas l’un des mieux conservés dans sa vieillotterie, celui qui a été le moins retouché par nos architectes modernes… Nous avons pénétré sous sa voûte, que ferme l’énorme porte cloutée à double vantail, par un portillon derrière lequel nous avons trouvé un noble vieillard (coiffé d’une casquette galonnée) qui semblait nous attendre. Le portillon rendit derrière nous un bruit sourd et nous entrâmes dans une ombre lourde de plusieurs siècles.

Puis ce fut la cour d’honneur que Christine me fit traverser rapidement sur un pavé encadré de mousse où elle était la seule à ne pas chanceler…

Elle ne me donna point le temps d’admirer la courbe harmonieuse du perron… nous étions déjà dans le haut et grand vestibule où nous fûmes accueillis, sortant de je ne sais quelle niche, par une espèce de chat humain dont la figure de bronze poli, trouée de deux yeux énormes de jade, s’enturbannait d’une soie immaculée…

— Sing-Sing ! me souffla Christine, le petit valet de pied hindou du marquis… un très gentil garçon et très serviable, mais un peu encombrant, trop souvent fourré dans vos pattes, ou s’allongeant sur une corniche, se balançant au-dessus d’une porte « histoire de vous faire peur