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LA POUPÉE SANGLANTE

avant de pénétrer ici, que de prendre pour complice ma vanité d’auteur ! Si vous soupçonniez le mépris que j’ai pour moi et pour les autres, pour tous les autres, vous vous seriez abstenue d’apprendre par cœur un méchant sonnet que j’avais depuis longtemps oublié !

Elle ne broncha pas, mais quand j’eus fini, elle se remit tranquillement à dire de mes vers et même de ma prose, qui est assez rare, — où ? dans quelle boîte, sur les quais, avait-elle pu dénicher les misérables opuscules ? — elle connaissait toute mon œuvre, ma pauvre, déchirante, blasphématoire, attendrissante, révoltante œuvre… aussi bien que moi !… mieux que moi… car sa façon de dire attestait qu’elle ajoutait quelquefois un sens supérieur à un texte dont toute la valeur ne m’était pas encore apparue…

Décidément l’intelligence de Christine est prodigieuse. Je dis cela naïvement, sincèrement, parce que je suis très difficile à comprendre et qu’elle est à peu près la seule à m’avoir compris. En tout cas, je suis anéanti devant cette révélation ! Depuis un temps que je ne saurais apprécier, cette fille qui passait près de moi sans me regarder jamais, vivait avec mes pensées !…

Pourquoi a-t-elle tant attendu pour me révéler cela ? Pourquoi ? Pourquoi aujourd’hui plutôt qu’hier ?…

Sans doute lit-elle en moi comme en un livre, car elle répond sans plus tarder :

— Monsieur, vous m’avez demandé tout à l’heure : « Qu’êtes-vous venue chercher ? » Monsieur, je suis venue vous demander un grand service !… Mon père, mon cousin et moi nous traversons en ce moment une crise atroce… (Ah ! ah ! pensais-je encore, nous y voilà ! Elle sait que je sais ! que j’ai vu ! Elle éprouve le besoin