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LA POUPÉE SANGLANTE

— Assez ! interrompis-je dans une agitation qui touchait à l’attaque de nerfs… Assez ! ce sont de très mauvais vers ! Vous oubliez que si la reliure qui les parait, à la dernière exposition des maîtres, a obtenu le prix, eux n’ont eu aucun succès… ce qui est justice, car, après tout, ils n’étaient signés d’aucun nom connu…

— Ils n’étaient pas signés du tout ! laissa-t-elle tomber sans s’émouvoir autrement de l’état où elle me voyait, mais j’ai bien pensé qu’ils étaient de vous !…

Je pâlis atrocement sans oser la regarder. À l’ivresse de tout à l’heure succédait une rage qui m’étouffait… Sans aucun doute cette fille se moquait de moi ! et avec quelle tranquille audace ! Enfin je pus m’exprimer et je lui jetai :

— Vous êtes cruelle !… Du reste, j’ai toujours pensé que vous étiez trop belle pour n’être point la cruauté même et peut-être sans que vous vous en doutiez, ce qui est votre seule excuse !…

— Continuez donc ; fit-elle lentement, je ne suis point venue chercher ici des compliments !

Qu’êtes-vous venue chercher ?…

Ces mots terribles, j’aurais voulu les rattraper. Mais j’étais comme forcené. Et ainsi qu’il arrive aux plus timides quand ils donnent un essor inattendu à leur hardiesse, je perdis toute mesure. Sans attendre sa réponse, je l’accablai de reproches stupides comme si elle m’avait donné quelque droit sur elle, par sa conduite antérieure vis-à-vis de moi…

Eh bien ! oui, j’avais fait des vers, mais pour moi tout seul, et il n’appartenait à personne au monde, pas même à elle, de venir railler ma solitude et ma détresse !…

— Vous prétendez me connaître, lui dis-je encore, et vous n’avez rien trouvé de mieux,