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LA POUPÉE SANGLANTE

frôlant et ne disons point tout haut avec le triste orgueil de la créature qui ne dispose que de ses cinq sens « ceci est » ou « ceci n’est pas »… Méfions-nous ! méfions-nous ! l’Univers est autour de nous comme une immense embûche… d’autres avant moi ont prononcé le mot : Farce !

Je n’irai pas jusqu’à ce mot-là tant que je croirai en Christine.

La nuit est si lourde et si basse autour de l’île, que celle-ci semble plus isolée que jamais de la ville.

Elle est comme sous une cloche qui m’étouffe.

C’est à peine si je puis respirer…

Tout d’un coup, j’ai entendu la voix qui remplissait l’effrayant silence.

C’est la première fois que j’entends sa voix à cette distance, et, peut-être, après tout, me suis-je imaginé l’avoir entendue ?… Non ! c’est bien elle qui a prononcé ces mots… je n’aurais pas pu les inventer… je veux dire que je n’avais aucune raison pour les inventer… C’étaient des mots très simples. Elle disait : « Au revoir, Gabriel ! »

Elle ne bougeait pas. Elle était sur le balcon. Sa voix remplissait solennellement l’air si lourd, la nuit soufrée… Et devant elle, passa le cortège… C’étaient le vieux Norbert et son neveu qui portaient, roulé dans une couverture, le cadavre !

L’armoire était ouverte derrière eux… Ainsi, j’avais bien deviné… Le cadavre était encore là quand j’étais monté dans l’atelier !

Eh bien ! cette Christine est surhumaine !… Non ! Non !… Tu n’es pas une poupée sans cœur, ô céleste créature !…

Maintenant que j’ai entendu ta voix d’or dans cette affreuse nuit de silence, ta voix qui disait « au revoir » aux restes ensanglantés de l’un des plus beaux des fils des hommes, j’ai compris ton