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LA POUPÉE SANGLANTE

geste pour me rendre service ! J’étais comme enivré. Tout à l’heure, j’avais abordé cette belle fille avec horreur, me demandant quel impassible métronome battait sous son corsage, et maintenant j’aurais baisé le bas de sa robe comme à la déesse de la Pitié.

Oui, oui, celle-là était adorable de bien vouloir se pencher sur mon abomination, de sourire à ma hideur ! car elle me sourit ! Ô ange !…

Tout de même, la nuit dernière, à cette place même, on lui a assassiné son amant !

Cette idée, resurgie tout à coup, me fait chanceler. Mon regard stupide fait encore une fois le tour de cette pièce maudite qui ne me livre rien de son secret, et puis s’arrête encore sur le bahut ! Le bahut d’où il est sorti et où ils l’ont peut-être rejeté en attendant qu’ils lui fassent une autre tombe !… car il est peut-être encore là, le mort magnifique !…

Je suis sûr qu’il y est !…

Une force dont je ne suis pas le maître dirige mes pas vers le meuble fatal. « Où allez-vous, monsieur ? »… Cette fois il me semble que sa voix est moins sûre et que le geste avec lequel elle m’arrête a été un peu hâtif.

C’est à mon tour d’avoir pitié. Je me ressaisis… je dis n’importe quoi :

— C’est un vieux bahut normand !…

— Ce n’est pas un bahut, monsieur, c’est une vieille armoire de la Renaissance provençale, tout ce qu’il y a de plus authentique… le seul meuble qui me reste de ma mère, monsieur, qui le tenait de sa grand’mère !… Il y a eu là dedans de bien beau linge et solide comme on n’en fait plus à présent !

Je m’incline pour prendre congé… Elle me tend la main. Je sens que si je touche cette main