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LA POUPÉE SANGLANTE

venait troubler… puis le long trou noir des douves qui séparaient la cour d’honneur de la baille, puis le vaste espace blanc de la baille, et à l’extrémité du plateau, au delà d’un petit mur bas, le cimetière avec ses croix penchées ou droites… ses dalles moussues et quelques-unes, luisant sous la lune, comme des glaces… Derrière, la silhouette élancée de la fine chapelle du XIVe siècle, au fond de laquelle dormait pour toujours, tranquillement, cette pauvre Bessie-Anne-Elisabeth…

Combien de temps Christine resta-t-elle ainsi à rêver ? et à rêver à quoi !

Soudain elle tressaillit… Là-bas, dans la vallée, la vieille église romane de Coulteray faisait entendre les douze coups de minuit…

Christine se leva, poussa sa fenêtre, car elle avait froid et commença de se dévêtir.

Elle revint à la fenêtre pour en tirer le rideau… mais elle poussa une sourde exclamation et s’accrocha au mur pour ne point tomber.

Elle avait vu… très distinctement vu, là-bas, entre les tombes des cimetières… une forme blanche, toute blanche qui glissait… se déplaçait avec la légèreté d’un fantôme…

Cette forme flottante et indécise, que semblaient traverser comme un cristal les rayons de la lune, fit le tour de la chapelle et disparut dans la direction de la demeure de Drouine.

Christine eût voulu crier ; elle ne le pouvait pas. Sa gorge se refusait à laisser échapper le moindre son. La terreur, maîtresse de ses sens et de ses organes, la tenait là, anéantie entre ce coin de mur et cette fenêtre… Et puis, soudain, elle glissa, ses jambes se dérobèrent sous elle, sa tête frappa brusquement le parquet et la douleur qu’elle ressentit lui restitua la force physique nécessaire pour appeler. Alors elle appela Jacques