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LA POUPÉE SANGLANTE

Ils étaient en face du garage… Elle avisa soudain la dernière voiture qui s’y trouvait. Elle l’avait vue quelquefois à Paris à l’hôtel du quai de Béthune… cette auto servait assez souvent à la marquise quand on la conduisait faire une promenade au Bois ou dans les environs… Elle s’en approcha et la considéra de près. C’était une forte limousine, d’une carrosserie solide et copieusement capitonnée à l’intérieur… Christine examina les portières, les glaces… Jacques comprit son idée et lui aussi chercha. Ils trouvèrent, près du chauffeur, le petit bouton sur lequel il fallait appuyer pour faire jouer automatiquement les volets. Instantanément, la voiture fut transformée en une cage hermétiquement close…

Drouine les regardait faire.

— C’est dans cette voiture qu’elle est arrivée ? demanda Jacques.

— Oui ! répondit Drouine… pauvre femme !…

— Quelle martyre ! soupira encore Christine, les larmes aux yeux.

— Le bon Dieu en a eu pitié ! reprit Drouine en hochant la tête… maintenant elle est bien tranquille !

Quand Jacques et Christine arrivèrent à l’auberge de la Grotte aux fées, ils furent assez surpris de l’allégresse générale qui y régnait. Ils ne connaissaient point les mœurs. Il n’y a rien qui donne appétit… et soif comme un enterrement. Par une pente naturelle de l’esprit, les vivants se comparent au mort qu’ils viennent de conduire à sa dernière demeure, se félicitent intérieurement de pouvoir goûter encore aux joies de la vie et s’empressent d’autant plus d’en jouir que l’exemple qui leur a frappé récemment les yeux, quelquefois jusqu’aux larmes, leur a fait mesurer la brièveté des jours…