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LA POUPÉE SANGLANTE

terrain qu’on lui avait abandonnée et où il faisait pousser des légumes. Enfin, il cultivait tout seul sa vigne qui dévalait hors le rempart, vers « la prée », et dont le marquis, propriétaire, lui abandonnait tous les bénéfices. Les visites archéologiques, les touristes remplissaient également son escarcelle.

Son rêve, qui était près de se réaliser, était de quitter ce merveilleux pays pour aller s’enfouir en Sologne, dans la sauvagerie, où il était né. Si ce n’était déjà fait, c’est que la veuve Gérard, à laquelle il faisait une cour muette depuis dix ans, et à qui il ne s’était ouvert de ses projets que depuis deux mois, ne tenait pas du tout à quitter la Touraine…

Avec ses économies de fourmi, il était parvenu à acheter la petite propriété qui les attendait là-bas, toute prête. Il avait toujours pensé que le gendarme ne ferait pas de vieux os, car il fréquentait trop les cabarets, et que sa veuve ne le pleurerait pas longtemps parce qu’il la battait comme plâtre. Lui, il était doux et bon, et patient. Elle serait heureuse avec lui. Elle le savait.

Quand Christine et Jacques pénétrèrent chez lui, il était attablé, tout pensif, devant son écuelle. Il laissa là son morceau de lard et se leva.

Avec ses cheveux de crin, sa peau d’ivoire, ses membres trapus, ses épaules courbées par l’incessant labeur, il eût pu passer pour une brute s’il n’y avait eu les yeux qui étaient bleu de Marie et brillants de la plus tendre candeur. À quarante ans, il avait conservé le regard d’un enfant de chœur qui débute dans le saint parvis.

Cependant, il n’était ni timide ni gauche. Il leur avança deux chaises et leur demanda tout de suite s’ils avaient vu Sangor et si celui-ci avait fait la commission de M. le marquis.