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LA POUPÉE SANGLANTE

Elle avait perdu ses fraîches couleurs ; ses yeux, qui, naguère, reflétaient le ciel, s’étaient voilés d’une ombre funèbre ; elle, que l’on avait vue, légère comme une Diane chasseresse, courir dans les bois, passait maintenant alanguie au fond d’une voiture d’où elle répondait tristement et d’un geste épuisé aux saluts respectueux des campagnards.

Sur ces entrefaites, une femme du pays qui faisait fonction de lingère au château, mariée à un brigadier de gendarmerie, Mme Gérard, se vit remerciée pour un motif futile.

Ce fut la première qui répandit le bruit qu’il se passait à Coulteray des choses « pas ordinaires du tout ! »

Elle prétendait avoir reçu des confidences de la marquise, que celle-ci était fort à plaindre, et que, si personne ne s’en mêlait, la pauvre femme n’en avait plus pour longtemps ! Alors, le gendarme, lui, s’en mêla pour faire taire sa bavarde moitié, et il y réussit si bien, par des moyens dont elle ne se vanta pas, qu’il ne fut plus possible de tirer un mot de Mme Gérard à ce sujet.

Mais la curiosité des paysans était éveillée ; ils guettaient les sorties de la marquise et soupiraient sur son passage :

— Voilà ce que c’est que de se marier à un empouse…

D’autre part, ils n’étaient plus les mêmes avec le seigneur de Coulteray… Ils se détournaient de lui, hochaient la tête quand il était passé, se regardaient entre eux tantôt avec une sorte de consternation inquiète, tantôt en se souriant, à cause de ce qu’ils pensaient « qui, tout de même, n’était pas possible à notre époque ».

Le marquis n’insista pas. Il repartit avec sa femme.