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LA POUPÉE SANGLANTE

le jeune Philippe roulant dans la boue comme dans son élément, Christine essayant d’éviter les flaques, la jupe claquant comme un drapeau, les deux mains à sa toque de voyage, luttant avec le vent qui semblait avoir pris le parti définitif de la lui arracher quand, soudain, ils s’arrêtèrent.

Au-dessus de la demeure funèbre de Bénédict venait de s’élever un tourbillon de feu. Flammes, cendres, flammèches s’échappaient avec un ronflement sinistre d’un des tuyaux qui surplombaient le toit et cet embrasement rabattu de part et d’autre par les brusques sautes du vent paraissait prêt à dévorer le chalet tout entier.

— C’est un feu de cheminée ! s’écria le gamin, et il ne s’en doute peut-être pas !

Alors, ils se mirent à courir et se trouvèrent bientôt sur un petit pont de bois qui dressait son pilotis au milieu des roseaux et auquel ils s’accrochèrent un instant pour ne pas être emportés par la bourrasque.

L’étang avait de vraies vagues gonflées de courants qui traversaient les marais environnants et venaient bouillonner là comme dans une cuve… Or, sur les eaux noires de cette cuve, il y eut soudain comme une traînée de sang, reflet de la flamme qui ronflait au-dessus du toit… et dans ce reflet, il y eut un cadavre !…

Il arriva du fond de la nuit porté par les eaux en tumulte et se jeta au-devant de Christine et de l’enfant qui raccompagnait, comme s’ils pouvaient encore quelque chose pour lui… Muet d’horreur, tous deux le regardèrent glisser sous le pont, les bras étendus, sa face déjà décomposée, ouvrant une bouche d’où semblait sortir un dernier appel dans la plus horrible grimace.

— Le père Violette !… put enfin s’écrier le petit Philippe, quand il eut retrouvé son souffle.