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LA POUPÉE SANGLANTE

bousculés par le vent d’ouest, derniers lambeaux de l’orage de pluie qui, tout l’après-midi, avait mêlé les eaux du ciel aux eaux de la terre, Christine comprit enfin ou crut comprendre pourquoi Bénédict Masson, chaque fois qu’elle lui parlait de Corbillères-les-Eaux, lui avait dit : « Surtout, n’y venez pas ! »

Elle n’avait jamais rien vu d’aussi triste au monde.

Et c’est là qu’il vivait !…

C’est dans cette mortelle solitude qu’il était allé se réfugier après la scène brutale, presque tragique, qui les avait séparés.

Elle ne lui en voulait pas.

Au contraire, elle se condamnait. Tout avait été de sa faute. Pourquoi s’était-elle montrée si tendre avec Bénédict, ce soir fatal ?…

Certes, elle n’avait aucune coquetterie à se reprocher. Elle s’était laissée aller très naturellement à des confidences qu’elle n’eût point faites à un autre, parce qu’elle éprouvait pour celui-ci, pour son caractère si particulièrement sauvage, pour son talent si ardent, qu’elle n’hésitait point à le qualifier de génie, pour tout son individu moral, une sympathie, une attirance presque irrésistible…

Seulement, voilà ! elle n’avait pas pu surmonter un mouvement de dégoût à son approche physique !

Ce baiser de l’homme laid, elle n’avait pas été assez forte pour le subir !

Eh bien, elle aurait dû prévoir cela et ne pas mettre, par son attitude imprudente, Bénédict Masson en droit de le lui demander !…

La scène de rage, d’imprécations qui s’en était suivie, elle voulait l’oublier… Elle avait été insultée — même frappée — enfin rejetée loin de lui