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LA POUPÉE SANGLANTE

failli, elle aussi, devenir sa victime ! car enfin ! elle aussi avait été visée ! c’était le cas de le dire !… et même atteinte ! Elle aussi avait été mordue de loin par le monstre !… Elle n’avait pas fait un rêve, quand elle l’avait vu penché sur elle et aspirant son sang, de ses lèvres gloutonnes, par la piqûre du rosier !… Baiser si hideux qu’elle n’avait pas voulu y croire, au réveil !… Crime d’une autre âge qu’elle avait rejeté dans le domaine du cauchemar !…

Oui, mais il y avait eu le chlorure de calcium qui arrête le sang et le citrate de soude qui le fait couler ! Et il y avait le trocard qui mordait à distance, empoisonnait à distance, annihilait à distance ! Cela était bien de notre temps ! La science, la science à l’usage du vampirisme ! ce vampirisme-là n’était plus un rêve !…

Ce n’était plus cette chose funèbre, fantomatique et légendaire que les petits esprits modernes repoussaient d’emblée avec dédain, c’était la plus monstrueuse des passions et la plus ancienne — celle du sang humain — servie par la chimie et par la mécanique !…

Et elle se rappelait la parole de Jacques Cotentin qui, lui, s’exprimait toujours avec une circonspection et une prudence qui l’avaient plus d’une fois trop fait sourire : « Le mensonge est moins dans les choses que l’on nous rapporte et que nous ne comprenons pas que dans nos connaissances ! Les ténèbres nous enveloppent si impitoyablement que, même en tâtonnant, nous bronchons à chaque pas… »

Corbillères-les-Eaux !… Quand elle sortit de la petite gare et qu’elle se trouva sur la place déserte, entre les quatre platanes d’où l’on découvrait toute la plaine marécageuse sur laquelle couraient, dans le moment, de gros nuages noirs