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LA POUPÉE SANGLANTE

rible que cela ? Jamais mes bras ne se sont refermés sur une femme ! Elles n’ont pas pu ! L’idée que je pourrais les embrasser, la seule idée de cela les épouvante ! C’est comme je vous le dis… je n’exagère rien !… Ah ! misère ! misère ! comme dit l’autre : « Une vie de feu bout dans mes veines !… Chaque femme serait pour moi le don d’un monde !… j’entends à la fois mille rossignols. Au banquet de la vie, je pourrais dévorer tous les éléphants de l’Hindoustan et prendre pour cure-dents la flèche de la cathédrale de Strasbourg ! La vie est le bien suprême ! » Et moi je ne puis pas vivre !…

Pourquoi cette affreuse gaine autour de mon cerveau ? Pourquoi cette asymétrie entre les deux côtés de mon visage ? (mon visage !), cette proéminence effrayante des sourcils, cette avancée subite de la mâchoire inférieure ? Pourquoi ce chaos ? L’Homme qui rit était bien heureux. Au moins, il riait ! il riait pour les autres !… Mais moi, qu’est-ce que je suis pour les autres ? Ni celui qui rit, ni celui qui pleure ! Ma face est un mystère épouvantable !

Vais-je me résoudre à avouer une chose qui m’entraînera peut-être plus loin que je ne le désirerais ?…

Ma foi ! dans l’état d’esprit où je suis, qu’ai-je à craindre ? qu’ai-je à redouter ? La pire aventure, la plus extraordinaire aventure peut m’arriver, elle ne dépasserait pas celle de cette nuit !… Je n’avais plus qu’une raison de vivre : voir Christine !… Depuis que je l’ai vue embrasser un monsieur qu’elle cache dans une armoire, comme disent les matelots : « À Dieu vat ! »…

Eh bien ! il n’y a pas très, très longtemps que je me vois aussi laid que cela ! Il y a encore deux ans, je m’imaginais que ma figure n’était point,