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LA POUPÉE SANGLANTE

s’épanchait librement devant moi comme devant un ami, se trouva glacée du coup… Elle se leva en frissonnant et elle alla s’enfoncer dans la nuit de la bibliothèque où je n’osai tout d’abord la suivre…

Combien de minutes s’écoulèrent ainsi ? voilà ce que je ne saurais dire.

Dans son isolement, j’étais sûr qu’elle ne pensait qu’à lui… et la preuve de cela, elle finit par me la donner.

Elle m’appela près d’elle. Sa voix était loin d’être hostile. Était-elle naturelle ? Faisait-elle un effort sur elle-même parce qu’elle avait quelque chose à me demander ? Je n’essayai point de résoudre ce problème… mes nerfs étaient à bout, à moi aussi… Elle n’avait qu’à me laisser dans mon coin… Elle aurait dû comprendre qu’il y a certaines heures lourdes, chargées d’une volupté insupportable, pendant lesquelles il est dangereux d’appeler près de soi les poètes, avec une voix de miel.

Je m’assis à l’autre bout du divan, par une dernière précaution qui touchait à la plus haute vertu et à cause de laquelle je réclame le bénéfice des circonstances atténuantes dans la scène fatale qui m’a privé pour toujours de Christine.

— Mon ami, me dit-elle avec un soupir où palpitait tout son amour (pas pour moi, certes !) et toute sa peur… mon ami, seriez-vous jaloux d’une image ?

— Cessons de nous mentir, fis-je brusquement… Je vous adore et je vous hais à la façon du maudit qui est à l’autre pôle de Dieu et dont le tourment ne cessera que le jour où le Beau et le Laid se rapprocheront pour s’anéantir. En ce qui nous concerne, nous n’en sommes pas là !… Votre douce voix qui m’appelle me rend malade de