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LA POUPÉE SANGLANTE

la cendre de ce foyer où viendra peut-être se réchauffer l’humanité future !… Non !… Je lui appartiens !… Il le sait !… C’est ce qui fait sa force !… S’il avait voulu, j’aurais déjà été à cet homme-là !… mais il a son idée, lui aussi, et son orgueil… Il veut m’apporter sa dot : quelque chose que l’on n’a point déposé encore dans une corbeille de mariage :

» La chaîne d’or avec laquelle les hommes, devenus créateurs de la vie, tiendront à leur tour la Divinité vaincue !

— C’est un beau bijou, en effet, répliquai-je sans sourciller, mais lent à forger, et puisque vous n’aimez pas le forgeron…

— Bénédict Masson ! quand je vous dis, à vous, à vous seul au monde, que je ne l’aime pas, cela signifie que je ne l’aime pas autant qu’un cerveau comme celui-là mériterait d’être aimé… Vous abusez de mes sentiments pour vous, et vous êtes en train de trahir ma confiance !…

Mais les coups qu’elle me décochait ainsi de droite et de gauche, tout en ayant l’air de me caresser avaient achevé de m’étourdir, et c’est alors que, perdant toute direction du combat, je laissai tout haut parler la brute :

— Vous avez des sentiments pour lui ! Vous avez des sentiments pour moi ! En attendant, c’est celui-ci que vous embrassez !…

D’abord, elle ne comprit pas… mais elle dut sentir passer sur elle quelque chose de redoutable, car elle leva sur moi une figure de noyée… Ah ! la pauvre enfant faisait pitié sous le voile de ses pleurs… mais il était trop tard pour la sauver du supplice que je lui imposais : ma main désignait encore l’image de Gabriel qui, lui aussi, pleurait les mêmes larmes qu’elle…

Quand elle eut compris, toute sa douleur, qui