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LA POUPÉE SANGLANTE

Seul, avec Christine !…

Et voici ce qui est arrivé.

C’était un soir… après dîner… dans le jardin où nous revenions quelquefois, Christine et moi, sans nous être donné rendez-vous…

Depuis les dernières scènes auxquelles nous avions assisté, quelque chose d’assez mystérieux semblait nous avoir rapprochés davantage, du moins je me l’imaginais, car jamais encore je n’avais vu Christine aussi confiante, ni aussi simple avec moi, ni aussi près de moi…

C’était un soir d’une douceur ineffable après la grosse chaleur du jour… je n’avais jamais été aussi heureux ; nous étions assis l’un près de l’autre ; un même attendrissement — qui n’était peut-être, hélas ! que de l’apaisement chez Christine — nous tenait silencieux… Mes pensées tournaient à la romance… autour de nous les murailles grises se fondaient dans le repos ; un chêne solitaire vacillait d’ivresse en se penchant au-dessus de l’abîme obscur de nos cœurs… Ma main se posa sur sa main — geste inconscient s’il en fut jamais — et sa main tiède resta dans la mienne.

Évidemment, évidemment, quand je pense encore à cette minute précieuse, c’est vers toi que je me retourne, nuit, ténèbre propice, voile sacré derrière lequel s’oublia ma laideur !

De ce que Christine n’avait pas retiré sa main, je concluais volontiers que mon contact ne lui déplaisait point — et cela pouvait déjà passer pour la plus grande victoire de ma vie — quand elle me demanda sur le ton de la plus sournoise confidence : « Est-elle vraiment folle ? »

— Qui donc ! interrogeai-je, assez dépité de constater que, dans le moment même, sa pensée était si loin de moi que je ne la rejoignais pas.

— Mais… la marquise ?