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LA POUPÉE SANGLANTE

— Eh bien ! le marquis, qui a visité le pays et qui a dû se renseigner sur les propriétaires des terrains qu’il voulait acheter pour les réunir en une seule propriété… le marquis trouva votre villa charmante, voilà tout.

J’étais tellement agité que j’allai à la fenêtre que j’ouvris… j’avais besoin de respirer… j’essayai de reprendre mon calme… Je m’en voulais mortellement de n’avoir pas su me contenir…

À ce moment, dans le carré de lumière qui s’allongeait devant moi, sur la pelouse, une forme blanche glissa, légère et silencieuse comme un fantôme.

Je n’eus que le temps de me précipiter à la porte qui était restée ouverte sur le jardin pour recevoir dans les bras cette pauvre chose agonisante, et qui déjà ne pesait pas plus qu’une ombre… Son souffle expirait sur ses lèvres exsangues ; l’ovale de son visage s’était allongé en une ligne plus idéale encore, la mort semblait déjà fixer cette fragile image pour l’éternité et la lueur qui errait au fond de ses orbites creusées comme deux abîmes n’appartenait plus aux feux de ce monde…

C’est en regardant des choses que nous ne pouvions pas voir, nous autres qui n’étions point comme elle sur la frontière du néant, qu’elle nous dit à tous deux (car Christine, elle aussi, s’était précipitée) :

— Eh bien ! êtes-vous convaincus, cette fois. Ils ne m’ont laissé que l’âme !…

Nous la déposâmes dans un fauteuil avec d’infinies précautions ; sa tête renversée sur le dossier était belle comme un marbre sur une tombe, elle semblait considérer une dernière fois (et cette fois sans épouvante, car elle espérait lui échapper en franchissant les portes de la mort) le monstre