Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
GASTON LEROUX

Hommes noirs, d’où sortez-vous ?… quel temps de chien !… Reine du monde, ô France ! ô ma patrie !… soulève enfin ton front cicatrisé !

Ce n’est pas qu’il ne passe point d’autos, mais elles ne s’arrêtent pas !… M. Flottard sait bien où elles s’arrêtent… Un concurrent, depuis l’été dernier, s’est installé un peu plus loin, dans la campagne, sur les bords de la rivière…

Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j’aime !… Chez ce confrère « à la manque », on ne chante pas, on danse… Il y a une boîte à musique qui distribue aux clients les tangos et les shimmies… le progrès quoi !… leur progrès !… Bon Dieu ! Société, vieux et sombre édifice !…

Ah ! une auto ! une auto qui s’arrête… oh ! pas une auto de luxe, bien sûr !… une pauvre petite auto à conduite intérieure… Derrière ses rideaux, M. Flottard guette le client comme un brigand des Calabres, derrière ses roches, guette le voyageur…

La portière s’ouvre ! qu’est-ce que ce client-là ?…

Et dans le court espace, très court espace de temps pendant lequel la portière de la voiture est ouverte, le rôtisseur a vu… a cru voir… une forme féminine étendue… des cheveux épars, une figure de morte, du sang, mais la portière, dont le rideau de vitre est tiré, a claqué tout de suite derrière le voyageur. Un singulier bonhomme au masque immobile, aux yeux pas commodes, vêtu d’un méchant paletot au col garni de faux astrakan, la tête couverte d’une toque de fausse loutre, pelée, miteuse, calamiteuse.

Drôle de client !

M. Flottard ne sait s’il doit lui ouvrir sa porte ou se barricader !

Mais l’autre a pénétré dans la salle… avec une décision troublante, et il glisse sous le nez de M. Flottard une espèce de billet qu’il tenait tout prêt dans le creux de