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LA MACHINE À ASSASSINER
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— Et l’on parle de la coutellerie anglaise ! fit notre homme… qu’en pensez-vous, madame Flottard ?

— Je pense qu’on a tort ! exprima la bonne femme qui tricotait des bas derrière son comptoir, la poitrine confortablement enveloppée dans un épais châle de laine.

— Qu’on a tort de quoi ?…

Mme Flottard est humble et soumise ; jamais elle n’élève la voix devant son époux. Elle est toujours de son avis ; elle ne lui parle qu’avec crainte et respect, ce qui est bien exaspérant pour un homme qui ne demande qu’à la disputer. Cet antagonisme latent qui n’a point l’occasion de se manifester, occasion que M. Flottard saisirait avec d’autant plus d’empressement qu’il a le sentiment que son humeur en serait une fois pour toutes soulagée, a pris naissance, il y a bien des années de cela, dans la sorte d’indifférence apathique avec laquelle Mme Flottard a toujours entendu chanter M. Flottard.

M. Flottard ne cherche point de compliments, mais il les aime, et Mme Flottard est peut-être la seule personne qui ne se soit point extasiée devant « son petit filet de voix… »

— Tu trouves peut-être que je chante faux ? a-t-il fini par lui demander un jour.

Mme Flottard a protesté doucement. En tout cas, si elle pense une chose pareille, elle a bien fait de ne point l’exprimer, et ce n’est certes pas dans ce moment où M. Flottard joue avec un si beau spécimen de l’industrie de Châtellerault, tout en chantonnant entre ses dents : « Oui, je secouerai la poussière… » qu’elle commettra l’imprudence de lui faire entendre que depuis quinze ans qu’elle est condamnée à la subir, la muse de Béranger lui donne des nausées…

Et elle a tout à fait raison de se tenir sur ses gardes, la brave dame, car jamais M. Flottard n’a été aussi énervé ! Depuis deux jours, on n’a pas vu un client…