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LA MACHINE À ASSASSINER
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L’Île-Saint-Louis avait été fouillée dans tous les coins et recoins… Quelle nuit ils avaient passée, eux aussi !…

Ils étaient exténués, mais ne sentaient point leur fatigue… Le sentiment aigu du danger mortel que courait la malheureuse Christine les poussait toujours en avant… N’ayant rien trouvé dans l’île, ils avaient à tout hasard traversé les ponts. Ils avaient interpellé des vagabonds, interrogé un ivrogne affalé sur un banc, un marchand de marrons qui allumait ses fourneaux, fait le tour du quai des Célestins, pénétré dans le boyau de Geoffroy-l’Asnier, sondé toutes les ombres de tous les culs-de-sac entre Saint-Paul et Saint-Gervais, puis fait le tour par le square Notre-Dame et le quai de la Tournelle ; enfin ils revenaient dans l’Île-Saint-Louis au moment où elle sortait des brouillards de la Seine, dans la lueur blême des matins frissonnants, quand tout à coup, au coin de la petite rue où se dressait la maison de M. Lavieuville, marguillier, ils aperçurent, à ne s’y point tromper, la silhouette de Gabriel !

Il était seul et marchait vivement : il courait plutôt. Dans un dernier bond il fut contre la porte de la maison de M. Lavieuville. Jacques voulait déjà se précipiter, mais l’horloger le retint :

« — Attention ! lui dit celui-ci, cette fois, ne le manquons pas ! Il s’agit de ne pas lui donner l’éveil… Nous allons bien voir ce qu’il va faire ? Tu sais que nous ne pouvons pas l’atteindre à la course…

— Dans tout cela ! gémit Jacques Cotentin, qu’est-ce que Christine peut bien être devenue

— Pour moi, elle a fini par lui échapper ! Elle est peut-être déjà à la maison…

— Attention !… qu’est-ce qu’il fait ?

À leur grande stupéfaction, ils virent Gabriel qui sortait de dessous sa cape un trousseau de clefs et qui, sans hésitation, introduisait l’une d’elles dans la serrure de la porte de M. Lavieuville.