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GASTON LEROUX

un grand « S », après avoir asservi toutes les forces de l’univers, est bien près de triompher de la mort même, ce n’est pas sans un certain étourdissement ni sans une certaine inquiétude (Haut les mains, n… de D… !) qu’on voit apparaître une espèce de soi-disant fou, soigné d’une façon exceptionnelle par un exceptionnel chirurgien qui vient vous écrire sous le nez : « Si vous tenez à la vie, silence ! » et cela avec l’écriture d’un homme guillotiné depuis huit jours !…

M. Birouste, derrière sa porte close, s’était laissé tomber accablé sur une chaise, dans son petit magasin qui était comme un résumé du règne végétal… Il regarda ces murs, ces tiroirs, ces placards où la primevère se dessèche à côté du tilleul, où le bouillon-blanc des vallées françaises se mêle au rhododendron des Alpes, ces bocaux où reposait tout ce qui s’infuse par ordonnance du médecin : ici, l’ipécacuanha (à toi, Helvétius !) là, la pervenchère chère à Jean-Jacques Rousseau… Cet homme (M. Birouste) savait ce que l’on peut faire des produits bruts, du gramen chevelu, des racines souillées d’alluvions livrées par le droguiste… La guimauve était sortie de ses mains blanches comme l’ivoire… La science avait fait de lui comme le purificateur et le grand-prêtre de toute cette vie végétale… Comment n’eût-il pas compris ce qu’un habile praticien peut réaliser dans le domaine animal ?…

Oui, mais ce qu’il ne comprenait pas… c’est que l’on remplaçât le cerveau d’un fou par le cerveau d’un assassin !

— Ça, c’est dangereux !…

Et cette pensée, il l’exprima tout haut, il la confia aux plantes amies qui l’entouraient et auxquelles il adressa un adieu désolé avant de s’aller coucher…

Dans l’étroit escalier qui conduisait aux deux chambres dont il disposait au premier étage, il prononça encore :

— Ça, ça me dépasse !…

Il arriva enfin à la porte de sa chambre et l’ouvrit…