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GASTON LEROUX

Cependant le maire et le curé étaient toujours pour lui. Et le docteur Moricet ne faisait que hausser les épaules quand on lui rapportait les propos qui couraient le pays. Le centre de tout ce mouvement était l’établissement du père Achard.

Ils étaient là trois, Achard, Verdeil et Bridaille, qui « n’en démordaient pas » de ce qu’ils avaient vu et entendu et qui le répétaient inlassablement. On venait de loin pour écouter leur histoire et l’on vidait force piots.

L’épicier Nicole et Tamisier, le marchand de vins en gros, regrettaient beaucoup de ne pas avoir été là lorsque le fantôme avait parlé, mais ils n’avaient pas oublié, comme l’on pense bien, la séance où la femme Gérard avait poussé un si grand cri, qui les avait fait accourir pendant que la marquise regagnait le cimetière !…

Or, le soir où nous sommes, la femme Gérard, qui s’appelait maintenant Mme Drouine, depuis qu’elle avait épousé le Solognot, était arrivée avec son nouvel époux à Coulteray et tous deux étaient descendus chez le père Achard, à la Grotte aux Fées. C’est vous dire si la conversation était abondante dans la grande salle commune de l’auberge. Drouine avait toujours son front taciturne. Le mariage ne l’avait pas beaucoup changé. C’était toujours le même rustique avec ses cheveux de crin, ses membres trapus, ses épaules tassées. Mais l’ancien sacristain semblait cacher, sous cette enveloppe rugueuse, une âme de plus en plus candide, révélée par son regard d’enfant de chœur, ses yeux bleus de Marie. Au fond, on ne savait que penser de lui et il n’en savait peut-être rien lui-même. Il affectait une grande prudence, hochait simplement la tête aux propos les plus subversifs. Chose curieuse, sa femme semblait se gausser un peu de lui, se plaisait à le taquiner :

— Pourquoi que t’es comme ça, Drouine ? T’as bien le droit de dire aussi ce que tu penses !

Et, se tournant vers les autres, elle ajoutait :