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LA MACHINE À ASSASSINER
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Et autour d’elle, les cadavres des initiés reprenaient couleur de vie.

Les yeux de Saïb Kahn s’attendrissaient de volupté.

« Il a l’air d’un marchand de nougat », pensait Christine au fond de son demi-coma ; mais le moment était proche où elle ne garderait plus assez de lucidité pour amuser sa trop certaine angoisse avec de telles comparaisons.

La danse de Dorga, qui avait commencé par être lascive, devint bientôt frénétique. Un rythme musical cruellement précipité la jeta finalement dans un tournoiement éperdu qui ne laissait plus voir distinctement que la ligne brûlante de son regard hiératisé et le double cercle de ses ongles d’or.

Autour d’elle, toutes les poitrines haletaient et il y eut un lugubre gémissement quand elle s’écroula sur le tapis, les bras en croix, la bouche entr’ouverte comme si elle venait d’expirer son dernier souffle !…

« Dorga est morte !… Elle est retournée aux enfers, la déesse noire aux ongles d’or !… Nous n’avons pas su la retenir parmi nous ! » prononça, comme on chante une litanie, la voix traînante et grave de Saïb Khan.

Les gémissements reprirent de plus belle.

— Que faut-il faire pour la faire renaître ? demanda encore Saïb Khan.

Et tous répondirent :

— Du sang !

Saïb Khan leva les mains et, se tournant encore vers les initiés, il prononça les paroles sacramentelles en dialecte ramasie, qui est l’antique langue des Thugs et que nous pouvons traduire ainsi : « Que les Bôras (Thugs) se séparent des Bitous (voyageurs) », ce qui signifiait : « Si quelqu’un n’est point des nôtres ou ne partage pas notre avis, qu’il s’en aille ! »

Mais personne ne bougea.