Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
GASTON LEROUX

incomplets et partiels. L’organisation de cette société, vouée à la destruction de l’humanité, a été enfin divulguée vers le milieu du dernier siècle par sir William Bentinck, gouverneur des possessions anglaises dans l’Inde ; et l’on n’a plus aucun doute sur son existence, sur ses ramifications, sur les profondes racines qu’elle a jetées dans les mœurs du pays. Les preuves sont abondantes, les mobiles qui la dirigent sont connus.

« Depuis le cap Comorin jusqu’aux monts Himalaya, une vaste association couvrant le sol, répandue dans les forêts, habitant les villages, mêlée aux citoyens les plus respectables, soumise à un code de moralité d’ailleurs sévère, parcourant tout le territoire, n’a d’autres moyens d’existence, d’autre gloire, d’autre but avoué, d’autre religion que de tuer.

« Les philosophes occidentaux sont restés bouche béante et les yeux fixés sur ce phénomène : lorsque des faits avérés sont venus l’attester, ils n’ont pu ni le réfuter ni le comprendre. Quelle explication rationnelle donner d’une telle anomalie ? La société repose sur le besoin de la conservation : voici des milliers d’hommes associés pour la destruction.

« Ils tuent sans scrupule, sans remords, d’après un système mieux lié, plus logique, plus complet que tous nos systèmes métaphysiques. Assurément, ceci est un prodige. Les assassins ou thugs — mot qui signifie : séducteurs — sont non seulement moralistes, mais prêtres, mais artistes ; leurs formules pour étrangler le voyageur sont savantes, leur recherche d’élégance et de grâce dans le procédé même de l’assassinat ferait honneur à l’invention d’un poète. Nul d’entre eux n’oserait employer un nœud coulant grossièrement fabriqué, ou contraire à l’élégance des formes consacrées par la tradition : il y a solennité, poésie, grâce, estime de soi-même, conscience du devoir, dans cette secte infernale qui a fleuri paisiblement sous les Hindous, sous les Mahométans et sous les Anglais.