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LA MACHINE À ASSASSINER
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m’ait pas déchirée !… Que vais-je devenir entre vous deux ?…

— Rassure-toi… J’ai un bon rhume !… le rhume se changera en bronchite !… la bronchite en pneumonie… et il ne sera plus question que de ton bonheur !…

— Chut ! fit soudain Christine. Écoute !

Un pas se faisait entendre dans le corridor… un pas au rythme singulier, qu’elle connaissait bien.

— C’est lui ! gémit-elle.

Le pas de la statue du Commandeur n’apporta pas plus d’effroi à don Juan, à l’heure où tout se paie, que le bruit du pas de Gabriel ne versa d’épouvante au cœur de Christine, dans cette modeste demeure des Alpes où allaient se heurter les éléments de la plus grande tragédie du monde !… Dans son amour forcené de l’idéal, Christine avait-elle été moins coupable que le prince des libertins ? Plus que le grand cynique, n’avait-elle pas foulé aux pieds les lois divines et humaines ? Si c’est un péché d’aimer la chair, ne l’avait-elle pas trop méprisée ? N’allait-elle pas être broyée entre ces deux pôles du monde qu’elle avait mis en mouvement : le Pur et l’impur ?

— Oh ! fit-elle, déjà à demi morte, que va-t-il se passer ?

La porte s’ouvrit. C’était lui…

Il était enveloppé d’une pèlerine de montagne, dont il maintenait les pans croisés devant lui avec un geste digne de la statuaire antique… Son noble front que ne ridait aucun souci, où ne s’imprimait aucune douleur, miroir auguste de la sérénité, dominait cette scène où d’un côté l’inquiétude morale et de l’autre la misère physique de la pauvre vieille humanité tremblaient devant l’apparition du « plus fort que la mort ! »

Son regard s’appesantit une seconde — une seconde de pitié — sur ce petit tas de chair dolente qui grelottait