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GASTON LEROUX

l’étonnée, Christine ! Le masque de stupéfaction derrière lequel tu te dérobes est le plus haïssable des mensonges !… Une femme soi-disant honnête qui nourrit pour l’étranger qui fréquente la maison des sentiments criminels ne berne pas plus audacieusement son époux que tu ne me trompes !… Tu ne m’as jamais aimé, moi !… Tu n’as jamais aimé que ton rêve !… et quand tu as découvert mon génie, qui se traînait à tes pieds, tu ne l’as relevé que pour qu’il eût la force de donner la vie à l’image insensible caressé par ta pensée !… Maintenant que mon œuvre est achevée, je n’existe pas plus pour toi que l’artisan que l’on met à la porte dès que l’on peut se passer de ses services… Et encore, celui-ci, on l’a payé ! Mais moi… moi… tu m’as laissé tomber, comme disent MM. les étudiants, « avec un bruit sec et métallique !… »

— Jacques ! Jacques ! tu es fou !…

— Tais-toi !… et que ton regard, en me fixant, soit moins clair, si tu as encore quelque pudeur !… Hier, je t’ai entendue prononcer ces mots : « Si tu n’étais pas ce que tu es, disais-tu à Gabriel, je ne te dirais pas : je t’adore ! »

— Malheureux !… Je lui disais : « Je t’adore ! » comme une mère le dit à son enfant… Est-ce que Gabriel n’est pas notre enfant ?…

— Menteuse !… Oui, il est mon enfant, à moi… mais à toi ?… Allons, Christine ! assez de grimaces !… Est-ce que tu pensais à ton enfant lorsque tes mains d’artiste caressaient l’ébauche de cire d’où devait sortir sa figure de victoire !… Tes mains servaient ton cœur qui roucoulait comme une colombe : « Le voilà celui que j’aurais aimé !… » Et tu t’es tournée vers moi et tu m’as dit : « Souffle sur ce limon !… » Dans mon orgueil insensé, j’ai emprunté l’haleine des dieux et j’ai soufflé… Et il a vécu !… et je suis oublié !…

— Et moi, je regrette que l’enfant de ton génie ne