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GASTON LEROUX

qui permettait à leur clientèle de ne pas mourir de faim. Cette aventure, pour ceux qui étaient bloqués, était considérée non comme un sujet d’épouvante, mais comme un divertissement nouveau.

Elle était moins drôle, par exemple, pour les touristes qui se trouvaient arrêtés dans leur excursion, obligés de renoncer à leur déjeuner et de rebrousser chemin vers Lucéram… car, très rares étaient ceux qui se décidaient à continuer leur route dans la neige, sans être équipés pour une telle expédition.

Jacques, cependant, n’hésita pas… N’ayant pour tout soutien qu’un bâton, il entreprit, quoi qu’on pût lui dire, le voyage au bout duquel il arriva, exténué et mourant de faim. Il avait mis trois heures pour faire une lieue.

Dans quel état se présenta-t-il à l’Hôtel des Fiers Sommets, où il avait lu qu’étaient descendus M. et Mme de Beigneville !…

Cet hôtel était tenu par trois sœurs, Mlles Élise, Florise et Denise… Elles s’empressèrent autour du voyageur dans le plus louable esprit de charité ; mais Jacques, s’étant installé devant le poêle, dont la bonne chaleur faisait fumer ses vêtements comme des copeaux, ne répondait à toutes leurs questions que par ces mots : « M. de Beigneville est-il toujours ici ? »

Elles lui dirent tout de suite que M. et Mme de Beigneville n’avaient fait que passer vingt-quatre heures à l’Hôtel des Fiers Sommets ; mais comme, à la suite de ce renseignement, leur hôte semblait montrer plus d’accablement, elles s’empressèrent de lui apprendre qu’ils n’avaient pas quitté le pays… Bien au contraire, ils avaient loué, à l’orée de la forêt de la Maïrise, sur le chemin de Turini, un petit chalet isolé où ils vivaient là d’une façon assez retirée.

— Ce doit être un nouveau ménage, exprima Mlle Denise, avec une conviction charmante… cela se devine tout de suite ! Ils sont gentils l’un pour l’autre ;