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LA MACHINE À ASSASSINER
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M. Birouste, le voisin immédiat de Mlle Barescat et qui, justement en sa qualité d’herboriste, lui procurait sa camomille à prix réduit, se présenta le premier. Il fut bientôt suivi de Mme Camus, la loueuse de chaises, une protégée de M. Lavieuville, marguillier, un personnage d’importance ; mais, ce soir-là, le principal ornement de cette petite réunion fut, sans contredit, Mme Langlois elle-même.

Mme Langlois, comme nous avons pu en juger déjà, quoique femme de ménage, n’était point « la première venue » ; elle avait eu une situation. Après avoir été demoiselle de magasin, elle s’était mariée et avait dirigé une petite entreprise de modes où elle avait promptement fait faillite, fort honnêtement du reste, et elle travaillait depuis la mort de son mari comme une mercenaire, « mais le front haut », pour désintéresser ses derniers créanciers et retrouver son honneur perdu ! Ce César Birotteau femelle était restée volontairement dans le quartier qui avait vu sa déconfiture, pour qu’il assistât à ses efforts de fourmi et, s’il plaisait à Dieu, à son triomphe.

Avant cette terrible affaire de Bénédict Masson, de qui elle avait épousseté si longtemps le pauvre mobilier, elle avait l’estime du quartier. Pour la retrouver tout entière et prouver qu’elle était la première à se réjouir du châtiment suprême qui attendait le monstre, elle avait eu le courage, elle, faible femme, d’aller à Melun (renseignée exactement qu’elle avait été sur le jour de l’exécution par M. Lavieuville, chez qui elle travaillait deux heures par jour, pour le gros ouvrage, et qui était intime avec « un gros bonnet » du Parquet). Elle était donc allée à Melun, où elle avait assisté (au premier rang, disait-elle) au supplice du Barbe-Bleue de Corbillères.

L’héroïsme qu’elle avait montré en cette circonstance et le récit qu’elle avait fourni (de visu) d’un événement si impatiemment attendu, l’avaient presque mise « à la