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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

heures quarante-six, M. Adolphe Lecamus descendait à la gare d’Esbly. Il fut reçu avec transports et l’on se mit à table. On en sortit (de cette table) à deux heures seulement. Marceline, profitant de ce que l’on était « entre soi », avait dégagé un peu sa chemisette, exhibant, sans contrainte, un commencement de gorge houleuse et rose. Théophraste faisait prévoir, avec une grande abondance de détails, à son ami Adolphe, les joies d’un après-midi de pêche passionnée. M. Lecamus ne disait rien, mais prenait pour la troisième fois d’un certain curaçao qu’il appréciait au-dessus de sa valeur. Théophraste se chargea des lignes, gaules, amorces, boulettes d’argile et de sang de porc qui s’arrondissaient au fond d’un seau d’étain. Adolphe prit l’épuisette et la boîte d’asticots. Ils embrassèrent Marceline et descendirent doucement vers la Marne.

— J’ai préparé ton coup, disait Théophraste ; tu m’en diras des nouvelles. Moi, pendant que tu pêcheras, je t’écouterai en m’amusant avec mes vérons. J’en ai une pleine boutique qui dort là-bas sous les herbes et les nénuphars. Je taquinerai la perchette : c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui, en t’écoutant.

Adolphe était redevenu muet.

Quand ils furent sur la rive, Théophraste déposa tous ses engins, et pendant que son ami examinait un hameçon, il lui dit :

— Eh bien ?…

— Eh bien, répondit Adolphe, il y a du bon et du mauvais. Mais je dois te dire qu’il y a plus de mauvais que de bon ; sans doute, on a inventé bien des histoires sur ton compte, mais la vérité vraie n’est point tout à fait ragoûtante.

— T’es-tu bien renseigné ?

(Théophraste depuis la scène de la rue Guénégaud