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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

rendre compte, il reliait fort naturellement son existence d’autrefois à son existence d’aujourd’hui. Il reprit, cependant que M. Petito regrettait intimement son insistance à accompagner jusqu’à la brasserie Bousset un homme qui prétendait être admis au cabaret du Veau qui tette :

— Ma tête vaut 20.000 livres, monsieur ! Et vous le savez bien !

Ce « Et vous le savez bien ! » fut prononcé avec un tel ton et accompagné d’un tel coup de poing sur la table de bois, qui supportait les deux bocks, que M. Petito recula instinctivement.

— N’ayez pas peur, monsieur Petito, la bière, ça détache. Vous savez donc que ma tête vaut 20.000 livres ; eh bien ! mon petit monsieur, il faut faire comme si vous ne le saviez pas ! Ou il pourrait vous arriver du désagrément. Je vous ai promis un conte. Le voici[1] :

Je me promenais, il a quelque deux cents ans de cela, rue de Vaugirard, les mains dans les poches, sans armes, sans même une épée, et le plus honnêtement du monde, quand un homme m’aborda au coin de cette rue de Vaugirard et de l’« Enfant Jésus ». Il me salua jusqu’à terre et me dit que ma figure lui revenait beaucoup (comme vous fîtes, comme vous dîtes, monsieur Petito !) et qu’on l’appelait le bonhomme Bidel, et qu’il avait un

  1. Historique. Du reste, tout ce que nous aurons l’occasion de raconter relativement à la vie de l’Enfant est de la plus grande exactitude. Nous avons eu soin de nous éloigner toujours de la légende qui est de beaucoup moins extraordinaire que la réalité. Nous avons contrôlé les papiers de Théophraste, nous avons vérifié ses assertions, grâce à la parfaite complaisance de MM. les bibliothécaires de la Nationale, de Carnavalet et de l’Arsenal. Nous avons vu les pièces du procès de l’Enfant qui est le plus formidable procès criminel des temps modernes. Enfin, comment pourrions-nous douter des dires du principal intéressé, j’ai nommé Théophraste ? Qui, mieux que lui, connaîtra son histoire ?