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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

eût été ridicule et Adolphe Lecamus eût passé pour un vilain monsieur.

Comme Marceline était une femme intelligente, elle avait résolu d’éviter cette inutile et triple catastrophe en réservant toutes ses caresses visibles à son mari et en gardant les cachées pour son amant. Il se rencontre beaucoup de femmes mariées qui n’ont point cette discrétion, et elles s’en trouvent, les premières, châtiées par les désagréments que tant de bénévole audace leur attire. La caresse du pied était celle que Marceline prodiguait le plus souvent à M. Lecamus ; c’était aussi, il faut l’avouer, parmi toutes les autres, la caresse la plus inoffensive. Mais elle s’y complaisait. Puisqu’il leur était interdit, à Adolphe et à elle, de s’attarder en de longues songeries, la main dans la main, comme on le voit faire aux amants dans les tableaux des peintres mélancoliques, ils s’oubliaient ainsi, le pied sur le pied. Et même, par un juste équilibre de toutes les facultés, pendant des heures quelquefois, quand il y avait une table entre eux trois, Marceline et Théophraste restaient la main dans la main au-dessus de cette table, cependant que Marceline et Adolphe, au-dessous, restaient le pied sur le pied. Et Marceline, qui avait, comme on dit, de la santé, était aussi heureuse au-dessus de la table qu’au-dessous.

Le jeu de pied, ce soir-là, n’était point simplement une caresse ; il signifiait : « Adolphe ! Adolphe ! où allons-nous ? Il me semble que Théophraste déménage. Viens à mon secours ! Viens au secours de Théophraste ! »

Adolphe avait compris : il fronçait les sourcils et se grattait le bout du nez. Il jugeait la minute importante. Il regarda encore Théophraste, il regarda les porte-monnaie. Il toussa. Il dit :