Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

même pigeon. Vous entendez, le même, avec les mêmes tares, les mêmes qualités, la même forme, le même dessin, la même plume noire, là où le premier pigeon avait une plume noire. Eh bien ! moi, Adolphe Lecamus, je prétends, et je vous le prouverai, qu’il en est des âmes comme il en fut des corps aux yeux avertis de Darwin. Au bout d’un nombre X de générations, on retrouve la même âme, telle qu’elle exista, avec les mêmes défauts et les mêmes qualités, avec la plume noire originelle. Comprenez-vous ?

— À peu près, fit Théophraste.

— Je me mets pourtant à votre portée, reprit Adolphe. Mais il faut distinguer entre l’âme qui reparaît ainsi héréditairement et celle qui revient par réincarnation.

— Voyons cela.

— Une âme héréditaire qui revit l’ancêtre a toujours sa plume noire, attendu qu’elle est le résultat d’une combinaison unique que rien ne vient contrarier, puisqu’elle vit dans un fourreau, le corps, qui est héréditaire au même degré. Est-ce clair ?

— J’ai remarqué, mon ami, fit Marceline fort humblement, que chaque fois que vous dites : « Est-ce clair ? » on n’y comprend plus goutte.

— Tandis qu’une âme qui revient par réincarnation, continua Adolphe en se pinçant les lèvres, se trouve dans un corps que rien n’a préparé à la recevoir. Les agrégats matériels de ce corps sont originaires — je prends l’exemple de Théophraste — de plusieurs générations de maraîchers à la Ferté-sous-Jouarre…

— De jardiniers, de maîtres-jardiniers, interrompit Théophraste.

— Les agrégats matériels de ce corps, dis-je, pourront momentanément imposer silence à cette âme, peut-être originaire, elle — je prends toujours l’exemple de