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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

» Le portrait n’était guère flatté, et je ne me cachai point pour en rougir.

» — Et maintenant, fis-je, que vous m’avez dit ce que vous pensez de mon caractère, me direz-vous ce que vous pensez de mon écriture ?

» — Oui, répondit-il, puisqu’aujourd’hui c’est nécessaire.

» Alors, il me fit, sur mon écriture, des observations qui n’auraient point manqué de me fâcher tout à fait si je ne m’étais souvenu que M. Petito, le professeur d’italien, m’en avait servi de concordantes. Il me dit :

» — Votre écriture exprime tous les sentiments contraires à la nature que je vous connais, et je n’imagine rien de plus antithétique que votre écriture et votre caractère. C’est donc que vous n’avez pas l’écriture de votre caractère actuel, mais l’écriture de l’Autre.

» — Oh ! oh ! m’écriai-je, c’est fort intéressant ! L’Autre était donc énergique ?

» Et je pensai à part moi que l’Autre avait dû être quelque grand capitaine. Voici ce qu’Adolphe ajouta, et que je me rappellerai toute ma vie, tant j’en conçus de peine :

» — Tout marque, dans ces jambages et dans la façon aiguë qu’ils ont de se rejoindre, et dans la manière qu’ils ont de grandir, de monter, de se dépasser les uns les autres : de l’énergie, de la fermeté, de l’entêtement, de la dureté, de l’ardeur, de l’activité, de l’ambition… pour le mal ! J’étais consterné, mais je m’écriai dans une lueur de génie :

» — Où est le mal ? Où est le bien ? Si Attila avait su écrire, il eût peut être eu l’écriture de Napoléon !

» — On a appelé Attila « le fléau de Dieu ! », dit-il.

» — Et Napoléon a été le fléau des hommes ! répliquai-je du tac au tac.