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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

tait pas parvenu à préciser ainsi, en quelques mots, sa situation exceptionnelle sans l’avoir, dans des lignes incohérentes, fait précéder de quelques divagations. Mais, vraiment, convient-il de s’en étonner ?

Ce qui lui arrivait n’était pas ordinaire. Songez que c’était un esprit simple, un peu lourd, un peu « suffisant », qui n’avait jamais cru qu’aux timbres en caoutchouc. C’était un aimable bourgeois honnête, strictement, et borné, et têtu. Il n’avait point de religion, la trouvant bonne seulement pour les femmes, et, sans affirmer son athéisme, il avait accoutumé de dire que « lorsqu’on était mort, c’était pour longtemps ».

Or, il venait de découvrir de façon certaine, palpable qu’on n’était jamais mort !

C’était un coup. Il faut avouer que d’autres, même parmi ceux qui font métier, dans les sciences occultes, de fréquenter quotidiennement les esprits, ne l’auraient peut-être pas aussi bien supporté.

Car, en fin de compte, Théophraste Longuet en prit vite son parti. Et même, du moment qu’il se rappelait avoir vécu vers la fin du dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, il regretta que la période fût aussi rapprochée. Tant qu’à faire, il aurait voulu remonter à deux mille ans.

Voilà bien le bourgeois de Paris ; il est plein de bon sens, mais quand il exagère, rien ne lui coûte.

Dans l’incertitude de son esprit, touchant une existence antérieure qui n’était plus niable, mais dont il ignorait tout encore, il ne pouvait se rattacher qu’à un chiffre : 1721, et à une chose : la Conciergerie.

Et voici ce que, dès lors, il croyait pouvoir affirmer : c’est que, en 1721, il se trouvait dans la prison de la Conciergerie, probablement comme prisonnier d’État, car