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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

Et il entra dans quelques détails. Un enfant, affirmait-il, ne s’y tromperait pas. Il pontifiait maintenant :

— Cette double écriture est identiquement anguleuse. Nous appelons anguleuse, monsieur, une écriture dont les déliés qui relient les jambages des lettres et les lettres les unes aux autres sont à angle aigu comme le plein des lettres. Vous comprenez ? (Silence de brute de Théophraste.) Comparez, voyez ce crochet, et cet autre, et ce délié, et toutes ces lettres qui augmentent progressivement dans une mesure égale. Mais quelle écriture aiguë, monsieur ! Je n’ai jamais vu d’écriture aussi aiguë que celle-là… Aiguë comme un coup de couteau.

Théophraste, à ces derniers mots, devint d’une telle pâleur que M Pelito crut qu’il allait se trouver mal.

Néanmoins, il se leva, ramassa son document, sa lettre, remercia et sortit.

Il erra dans les rues, longtemps. Il se retrouva place Saint-André-des-Arts, s’orienta et alla soulever le loquet d’une vieille porte, rue Suger.

Il était dans un couloir obscur et sale. Un homme vint au-devant de lui et, le reconnaissant, lui marqua aussitôt de l’amitié. Cet homme avait un bonnet carré de papier sur la tête et s’habillait d’une blouse noire qui lui descendait aux pieds.

— Bonjour, Théophraste ! Quel bon vent !…

— Bonjour, Ambroise !…

Comme il y avait deux ans qu’ils ne s’étaient vus, ils se dirent d’abord des niaiseries. Ambroise, de son métier, gravait des cartes de visite. Il avait été imprimeur en province, mais, ayant mis tout son avoir dans l’invention d’un nouveau papier, il n’avait pas tardé à faire faillite. C’était un cousin éloigné de Marceline. Théophraste, qui était un brave homme, lui était venu en aide au moment de ses plus gros ennuis.