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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

bruyantes de quelques adolescents, arrivés là avant l’heure des cours.

La pensée de Théophraste était d’une grande simplicité et d’une grande unité. Elle tenait tout entière dans cette phrase : « Le monde n’a pas changé. »

Non, le monde n’avait pas changé. Aujourd’hui comme hier, comme avant-hier, la rue Gérando voyait passer les mêmes gens se rendant aux mêmes besognes et accomplissant les mêmes gestes. Et, comme il allait être deux heures, l’épouse de M. Petito, le professeur d’italien qui occupait l’étage au-dessus de son appartement, se mit à jouer au piano le Carnaval de Venise.

Non, rien au monde n’était changé, et cependant, en se retournant, il pouvait voir entre les derniers modèles de ses timbres en caoutchouc, sur le pupitre de son bureau d’acajou, une feuille…

Cette feuille existait-elle réellement ? Il avait passé une nuit délirante à la suite de laquelle il avait mis son étrange aventure de la veille sur le compte d’un mauvais songe. Mais il avait retrouvé la feuille au fond du tiroir…

Encore maintenant, il se disait : « Tout à l’heure, je vais me retourner, et il n’y aura sur mon bureau pas plus de feuille que sur ma main. » Il se retourna. Le chiffon de papier était là avec son écriture !

Théophraste se passa la main droite sur le front en sueur, poussa un soupir d’enfant qui a un gros chagrin, sembla prendre une résolution définitive et mit avec soin le papier mystérieux dans son portefeuille. Il venait de se rappeler que M. Petito, le professeur d’italien du dessus, passait pour fort expert en écriture et pour s’occuper sérieusement de graphologie. Son ami Adolphe Lecamus, lui aussi, s’occupait de graphologie, mais à la façon des spirites. Aussi Théophraste ne songea même