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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

absolu mutisme. Il passait son temps à compulser des notes et papiers qui remplissaient ses poches. Et puis, deux nuits de suite, toujours sans dire un mot, il écrivit.

Un matin, il s’apprêtait à sortir.

— Où vas-tu ? lui demanda Ambroise.

— Demander une copie de ses notes à M. le commissaire Mifroid sur un voyage que nous avons fait ensemble et dont tu connaîtras tous les détails après ma mort.

— Tu vas te tuer ?

— Oh ! non ! ça ne sert à rien… Je mourrai bien tout seul, cette fois-ci… Mais je viendrai mourir chez toi, mon bon Ambroise.

— Tu me consoles ! fit Ambroise avec un sourire d’une pitoyable navrance. (Nous avons dit qu’Ambroise avait un bon cœur.)

— En sortant de chez Mifroid, j’irai voir ma femme.

— Je n’osais pas t’en parler… Ta tristesse, ton attitude qui m’est encore inexpliquée, tout me faisait craindre des peines de ménage…

— Oh ! elle m’adore toujours !

Malheureusement ! Jamais on ne le dira, en une si cruelle et fatale occurrence, jamais on ne le dira assez : malheureusement !…

Malheureusement, Ambroise eut l’idée de faire changer de linge à Théophraste. Oui, malheureusement, pour qu’il pût se présenter décemment devant sa femme, il lui prêta une de ses chemises ! Ah ! ah ! combien malheureusement ! Mais qui est-ce qui se serait douté que de mettre une chemise propre et revenue le matin même du blanchissage, cela pouvait avoir une telle importance ? Ce n’est ni la faute d’Ambroise ni de personne.