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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

le sol se fait humide, nous pataugeons dans la boue. Des gouttes pleuvent sur nous, des parois supérieures. Nous marchons dix minutes encore, un quart d’heure. Je reconnais mes ossements. Voici ceux du cimetière de Saint-Laurent, déposés le 7 novembre 1804, et ceux de Saint-Esprit, et ceux des milliers et des milliers de morts qui s’enfoncent à droite, à gauche, dans les ténèbres. Toujours les petites chandelles. Les ossements sont bien alignés, bien rabotés, jolis. On dirait d’interminables et vastes haies de buis où viennent de passer les ciseaux du tondeur. Et des inscriptions : « Ossa arida, audite verbum Domini. » Ils entendront autre chose que la parole du Seigneur, cette nuit, les os arides.

» Des voix, des papotages féminins, quelques rires, nous annoncent que nous touchons au terme de notre voyage. « Stimulus autem mortis peccatum est. » Oui, l’aiguillon de la mort, c’est le péché. Le péché est là ce soir, et les pécheresses aussi, des dames qui ont des bandeaux plats.

» Les premières paroles du dix-neuvième siècle que nous entendons sont celles-ci :

» — Eh bien, mon vieux ! c’est pas gai, c’t affaire-là. J’aime mieux Bullier…

» — Dix-huit ans. J’suis pas près de remplacer les tibias qui sont ici.

» Nous arrivons sur une sorte de place publique des morts, où se prépare la fête. On ne fait nulle attention à nous, on nous prend pour des invités.

» Au long des murs funèbres, on a rangé des chaises. Le luminaire se fait plus nombreux, les chandelles se dressent aux chandeliers des crânes. Au bout de cette galerie, une rotonde où s’alignent, en cercles, régulièrement, les pupitres à musique. Pas encore de musi-