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UN SUBTERFUGE…

je ne saurais exprimer et, Théophraste survenant sur ces entrefaites, j’en profitai pour lui dire toute la répugnance que j’avais à rester au sein d’un peuple qui n’avait pas d’affaires publiques.

» Il me répliqua qu’il n’avait jamais été aussi heureux, lui, Théophraste, et qu’il passait son temps à jouer les plus joyeux tours à Cartouche dont l’âme inutile lui laissait enfin la grande paix inconnue à la terre.

» Quinze jours s’étaient écoulés depuis notre arrivée chez les Talpa. Je commençais à en avoir assez de leurs groins roses, de leur charcuterie de rat et de leurs concerts de silence. Je songeai sérieusement à les quitter et je me proposais d’exécuter mon dessein, quand j’appris par damoiselle de Coucy (dame de Montfort m’avait quitté pour Théophraste) que les places publiques avaient décidé de ne nous laisser partir que lorsque les vingt mille Talpa nous auraient passé les doigts sur le visage, pour que le peuple talpa fût dégoûté à jamais de tenter de retourner sur le dessus de la terre dont il est parlé dans les livres sacrés.

» Chacun de nos deux visages était livré à dix Talpa par jour, ce qui faisait vingt Talpa par jour. D’où cinquante jours pour mille Talpa, d’où mille jours pour vingt mille Talpa (les chiffres sont exacts). La perspective de trois années passées ainsi au fond des catacombes n’avait rien d’attrayant, bien que les Talpa eussent tous les mains propres et les ongles fort soignés.

» Théophraste, lui, trouvait que trois années, « c’était bien court », et il ne parlait de rien moins que de se crever les yeux « pour être comme tout le monde »

» Nous n’étions jamais longtemps seuls. Dans le moment que l’on s’y attendait le moins, des doigts nous entraient dans le nez ou dans les oreilles.

» C’est alors que j’eus l’idée miraculeuse d’utiliser