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UN SUBTERFUGE…

les secondes ne s’extasiaient sur la vertu des premières. Les choses se passaient suivant les goûts et les tempéraments, et nul n’y prenait garde. C’est ainsi que je m’expliquai que chez ce peuple, les conflits de passions fussent réduits à leur strict minimum. Comme me le fit entendre dame de Montfort, personne n’étant la propriété de personne, personne n’avait même l’idée d’avoir des droits sur personne. L’idée du mariage étant issue de l’idée de propriété, cette idée de propriété conjugale a inspiré fatalement l’idée de propriété même dans l’amour libre, dans nos sociétés ; mais chez un peuple qui, comme celui des Talpa, ignore la propriété — celle des personnes comme celle des choses — personne ne devant rien à personne, pas plus « sa personne » que le reste, l’existence du « vol d’amour » qui, chez nous est la cause première de tous les conflits de passions, est aussi insoupçonnée, je dirai même aussi impossible que tous les autres vols.

» Est-il nécessaire de vous dire combien de pareilles théories révoltaient en moi l’honnêteté sociale du commissaire de police, et combien la vision d’une désorganisation aussi radicale me chavirait l’intelligence ?

» — Mais enfin, m’écriai-je, il y a les enfants ! Puisqu’ils n’ont pas de parents reconnus, qui est-ce qui les élève ? Ça n’est pas l’État puisqu’il n’y a pas d’État ! Votre ville doit être grouillante de petits enfants abandonnés, à moins qu’on ne les jette dans le lac comme chez les Chinois !

« Elle me répondit qu’ils n’avaient pas assez d’enfants, qu’on s’inscrivait ci l’avance pour en avoir ; que les enfants, c’était une grande distraction et que les personnes qui n’en avaient pas suppliaient les personnes qui en avaient trop de leur en passer un ou deux. Quand une femme était grosse, c’était à qui la soi-