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LA NATION TALPA

sons que vous comprendrez à l’instant. Je n’entonnai point, je susurrai :


Élisa, viens à moi ! Abandonne la ville…
D’un amour partagé viens goûter le bonheur.
J’aurais, pour t’enlever, ma cavale docile ;
Dans mes bras amoureux, sens tressaillir mon cœur !


» Je n’avais point fini le premier couplet que toute la salle criait : « Plus bas ! plus bas ! » « Chante donc plus bas ! » me fit Théophraste.

» Je chantai plus bas :


Viens ! J’ornerai ton front des perles les plus fines,
Et des bracelets d’or te pareront les bras !
Je me voudrais à toi au penchant des collines
(hiatus charmant).
Sur la peau du lion d’or, la nuit tu dormiras !


» Je comptais, comme toujours, sur le gros effet de la peau du lion d’or, quand les voix crièrent encore : « Plus bas ! plus bas ! » « Chante donc plus bas ! » fit encore Théophraste…

» Alors, je chantai le troisième couplet si bas, si bas, que l’on eût dit de ma voix le murmure étouffé de quelque lointaine et cristalline source :


J’habite le désert, au bord d’une fontaine,
Cet asile si pur où m’attend le bonheur.
Je quitterai ma tente et tu seras ma reine…


» Il me fut impossible de terminer. Je disais encore : « Je quitterai ma tante et tu seras marraine », que les cris reprenaient : « Plus bas ! Plus bas ! »

» Je regagnai alors ma place, suivi de Théophraste qui me suppliait de me calmer, car, dame ! je n’étais pas content. Eh bien ! j’avais tort. Ceci n’était pas un incident