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CE QUI S’EN SUIVIT AU FOND DES CATACOMBES…

pas assez, j’allais entrer en quelque dissertation touchant la langue d’oïl, lorsque nous fûmes tout à coup entourés par une trentaine de personnages qui sortaient de je ne sais où et qui agitaient autour de nous des mains où je fus assez surpris de compter dix doigts (avec les doigts de pied, cela faisait quarante doigts par personne). Ils avaient tous des groins roses sans yeux. C’étaient des hommes, à n’en pas douter, des hommes du plus pur quatorzième siècle, pour peu qu’on prêtât l’oreille à leurs conversations tenues sur un diapason des plus bas, chose que je m’expliquai par le développement excessif de leurs organes auditifs. Beaucoup d’entre eux, tout en gesticulant d’une main, se pinçaient leur groin rose de l’autre main, c’est-à-dire de leurs dix doigts de la main gauche. Ils se pinçaient leur groin au fur et mesure qu’ils entraient dans le rayon de notre lumière. Et j’eus bientôt cette certitude que notre lumière leur procurait la sensation d’une odeur désagréable.

» Ils parlaient tous à la fois en citant à chaque instant ces noms : « Dame Jane de Montfort, demoiselle de Coucy » et nous vîmes bien qu’il s’agissait là de ces dames que nous avions dérangées à l’heure du bain. Ils ne nous effrayaient pas, mais ils nous ennuyaient avec leurs vingt doigts chacun, qu’ils ne cessaient de promener, très légèrement du reste et fort poliment, avec mille belles excuses, sur notre visage.

» Ils exprimaient sans circonlocution l’étonnement où les plongeait l’inesthétisme de nos faces et nous plaignaient hautement. Notre petit nez, notre pauvre petit nez de rien du tout leur faisait hausser les épaules avec joie. Ils tâtaient aussi nos oreilles ; enfin, ils nous enfonçaient leurs vingt doigts dans les yeux et ne pouvaient comprendre à quoi ces petits trous pouvaient