Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/304

Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

forcerais-je de le dissimuler — me plaît. Oui, il me plaît de parler des choses qui se mangent. C’est, sans doute, que ne voulant pas m’avouer que j’ai faim, j’ai faim tout de même. Il y a des moments où, malgré soi, on est vieux jeu.

» — Mon cher ami, dis-je à Théophraste, il se peut, même si vous ne sortez des catacombes, que vous ne mouriez pas de faim.

» — Pourrais-je mourir de soif ? interrompit-il.

» — Je crois bien que si vous mourez de soif, vous mourrez de faim… Mais si vous ne mourez pas de soif, vous ne mourrez pas de faim.

» — Quel mystère est-ce là ? Expliquez-vous, monsieur le commissaire.

» — Voici. La flore obscuricole, la végétation cryptogamique, les champignons des catacombes, pour tout dire, ne parviendront jamais, je le crains, à calmer les transports d’une faim qui, si j’en crois vos jeux de physionomie, augmente dans des proportions inquiétantes pour tout être vivant ! (Disant cela, je faisais une allusion évidente au danger que je courais d’être mangé d’ici quarante-huit heures par le sanguinaire et impitoyable Théophraste, ce qui eût été parfaitement ridicule, mais dans l’ordre. Lisez, à ce sujet, tous les radeaux de la Méduse et tous les Arthur Gordon Pym de l’univers.) Mais nous pouvons rencontrer de l’eau ! Et alors, vous pourrez manger !

» — Boire ! fit-il.

» — Manger et boire. Vous vous ferez ichtyophage.

» — Qu’est-ce que c’est que ça ?

» — Les ichtyophages sont les mangeurs de poissons.

» — Ah ! ah ! s’exclama-t-il avec une immense satisfaction ; il y a de l’eau dans les catacombes, et, dans cette eau, il y a des poissons ? Sont-ce de gros poissons ?…