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POUR LA FAIM FUTURE

qui, sur la mer immense et démontée, ne pourra servir qu’à prolonger l’agonie de celui-ci et les phrases de celui-là. Certes, je n’aurais pas, étant doué autant que quiconque de l’esprit pratique, négligé, en état de naufrage, le secours d’une bouée au milieu de la Seine ou encore dans le détroit du Pas-de-Calais, entre Douvres et le cap Gris-Nez, mais, sur une mer immense et démontée, j’eusse repoussé la bouée, l’inutile bouée, et me serais résolu à une mort immédiate dans l’abîme plutôt qu’à danser sans espoir à la crête écumante des vagues. Ainsi j’aurais estimé perdre mon temps en gestes vains et inutiles si, obéissant à l’instigation de Théophraste, qui voulait « manger », j’avais accroché mon espoir à quelques maigres végétations cryptogamiques que mon regard attentif venait de découvrir à la paroi humide des galeries que nous parcourions alors.

« Ah ! si nous avions pu interrompre notre course d’un bon repas qui nous eût donné des jambes pour continuer notre route, j’aurais été le premier à dire à Théophraste : « Mangeons, ami, la table est servie ! » Mais, pour quelques champignons, peut-être vénéneux, arrêter notre marche eût été le fait de sots et peu intéressants personnages…

» M. Théophraste Longuet n’est pas raisonnable… Puisqu’il a faim et qu’il n’est pas près de sortir des catacombes, il veut que je lui dise ce qu’il pourrait manger pour ne pas mourir de faim, s’il devait rester dans les catacombes. C’est un enfant. Heureusement, j’ai visité le laboratoire des catacombes de M. Milne-Edwards, et je pus l’entretenir de la faune et de la flore obscuricoles et cavernicoles, dont, au besoin, il se pourra repaître…

» Du reste, ce genre de conversation — en vain m’ef-